17.11.07

On aime, on n'aime pas


Je me souviens de l’amour. Je suis heureuse de savoir de quelle matière l’amour est constitué. L’amour passion égale vivre l’un pour l’autre: pour se laisser bercer par le timbre de sa voix, être enivré des caresses de l’autre, avoir l’estomac noué du trac de sa présence. Le sens oculaire disparaît : l’amour est visible mais l’arrière-scène et ses décors sont flous. Je ne vois pas les autos qui circulent, je n’entends pas les gens qui marchent, je ne me souviens pas des rues que je croisent, les gratte-ciels ne m’impressionnent pas, les minutes s’envolent, les préoccupations s’effacent. Le rêve est réalité.

J’ai froid parce que le soleil tombe. Même que je gèle. Pendant ce temps mon cœur s’assouvit de la passion qui l’alimente, s’embrase, mais heureusement sans se consumer. La consumation est toujours pour plus tard. Le jour s’achève donc, l’obscurité avale le monde et le silence est maître. La pendule de l’horloge est fidèle au rythme des secondes et annonce le tournant des heures. Les images de la journée défilent dans ma tête et les remords me chagrinent. Demain m’allègre. Les dix doigts sont insuffisants aux décomptes du prisonnier qui attend sa liberté. Une larme perle par la nostalgie d’un "je t’aime" et le retentissement de son écho. Épisode reconnu? Marcel Bernier, psychologue au Centre d'orientation et de consultation psychologique de l'Université Laval, affirme qu'une des premières causes de consultation psychologique est l'amour.

Curieusement, certaines personnes affirment n’avoir jamais ressenti l’amour. Pourtant, c’est si simple d’aimer. Ce qui est plus ardu est de demeurer en amour: au Québec par exemple, 53,5% des mariages se terminent par un divorce. "La famille recomposée en décomposition", Louise Leduc, La Presse, 18 mars 2007.

Le psychiatre américain Scott Peck a écrit en 1978 un livre fantastique notamment sur l'amour: Le chemin le moins fréquenté - Je citerai l'auteur à plusieurs reprises durant ce texte. Pour l'auteur, l'amour est la "volonté de se dépasser dans le but de nourrir sa propre évolution spirituelle ou celle de quelqu'un d'autre. (...) Ainsi, l'acte d'aimer participe à l'évolution personnelle, même quand son but est le développement de quelqu'un d'autre. C'est en tendant vers l'évolution qu'on évolue." L'amour est donc une voie vers l'amélioration et le dépassement par la complicité des amoureux. "En élargissant nos frontières, nous tendons en quelque sorte vers l'être aimé dont nous désirons nourrir l'évolution. Pour y parvenir, l'objet de notre amour doit d'abord nous paraître aimable; en d'autres termes, il faut que nous soyons attirés par un objet hors de nous-mêmes, que nous nous investissions et que nous nous engagions vis-à-vis de lui, hors de nos frontières personnelles. (...) La seule véritable fin de l'amour est l'évolution humaine." Enfin, Saint-Exupéry a écrit: "aimer, c'est regarder dans la même direction."

Pour Scott Peck, l'amour est plus logique que passion; "volontaire plutôt qu'émotionnel". "L'amour, c'est ce qu'on fait, à la fois action et désir. La volonté implique aussi un choix. On n'est pas obligé d'aimer, on le décide. Si nous n'aimons pas vraiment quelqu'un, c'est parce que nous n'avons pas choisi de l'aimer, malgré nos bonnes intentions." Le "processus d'attirance, d'investissement et d'engagement se nomme cathexis. (...) Une union plus modéré et moins spectaculaire que lorsqu'on tombe amoureux, mais est en fait beaucoup plus stable, plus durable et finalement plus satisfaisant." Cependant, "l'effondrement temporaire des frontières du moi, impliqué dans le fait de tomber amoureux ou dans les rapports sexuels, nous amène non seulement à nous engager vers d'autres personnes et alors le véritable amour peut naître mais aussi nous donne l'avant-goût - encourageant - d'une extase mystique plus durable que l'on pourra atteindre au bout d'une vie d'amour. Donc, bien que tomber amoureux ne soit pas l'amour en soi, cela fait partie du grand et mystérieux dessein de l'amour." Selon l'auteur, quand on aime, c'est parce qu'on le veut.

L'amour est sain dans l'indépendance. "Les couples apprennent que la véritable acceptation de l'individualité de chacun - en l'occurrence de la sienne propre et de celle de l'autre - est la seule base sur laquelle le véritable amour peut se développer. (...) Deux personnes ne s'aiment vraiment que lorsqu'elles sont capables de vivre l'une sans l'autre mais choisissent de vivre ensemble." L'auteur ajoute: "devenir dépendant de quelqu'un est le pire mal que tu puisses te faire. Si tu attends le bonheur de quelqu'un d'autre, alors tu seras toujours déçu."

Justement, plusieurs couples se défont en réaction à leur peur d’avoir peur, car "l'amour implique inévitablement le risque du rejet ou la perte". Dans ce sens, l'amour est un travail qui demande du courage. "Faites confiance à quelqu'un et vous risquez d'être déçu; comptez sur quelqu'un et il ne peut vous laisser tomber. Le prix de la cathexis est la douleur. Si on a l'intention d'éviter la douleur, on doit sacrifier beaucoup de choses: les enfants, la mariage, l'extase du sexe, l'ambition, l'amitié - tout ce qui fait la vie et lui donne un sens. Bougez ou évoluez, dans quelque direction que ce soit, et votre récompense sera la peine autant que la joie. Une vie bien remplie est pleine de douleur. Mais la seule échappatoire est de ne pas vivre pleinement ou même de ne pas vivre du tout."

En conclusion, l'amour implique la "communication; de donner avec discernement, mais aussi parfois ne pas donner, encourager, mais aussi critiquer; argumenter; réconforter; et prendre des décisions parfois douloureuses."

- Photo : Frédéric Tremblay, Charlevoix (Québec, Canada), 2007 -

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