18.11.07

Le décès de grand-maman


Un jour, j’ai lu dans un livre que le sentiment de culpabilité était un terrible fléau au cœur de la majorité des êtres humains.


Invitée par mon employeur en Ontario en 1999, Patricia, à une fête organisée à l’occasion de l’anniversaire de sa belle-mère, j’ai accepté avec enthousiasme. Les membres de la famille de son mari sont tous d’origine yougoslave et possèdent donc un fort joli accent. Je ne connais personne à cette fête et tous ceux qui sont présents sont de plusieurs années mes aînés. Mais, malgré cela et malgré ma timidité, on me parle, on me questionne, on porte attention à moi et j’admire leur sympathie.


Une vieille femme m’apostrophe. En usant de tact, je lui demande de me livrer ses sentiments face à son immigration au Canada, à la guerre qui sévit présentement dans son pays au grand dam des Européens. Peut-être encouragée par ma propre solitude, je m’interroge sur son hypothétique tristesse lorsque des souvenirs de sa terre natale la rattrapent: les paysages, sa langue maternelle, sa famille demeurée au pays. Elle a le visage aimable et doux tel celui de ma défunte grand-mère. Ses mains sont frêles et les pupilles de ses yeux éveillées. Je ressens un élan de compassion et d’amitié pour cette vieille dame qui projète sur moi l’image de ma grand-mère décédée.



Aujourd’hui, Patricia m’a annoncé candidement que cette femme est morte. Elle s’est éteinte la nuit passée. Je suis blessée: triste que la mort l’ai emportée, mais davantage par l’ulcère de culpabilité qui me ronge à nouveau. Il y a de cela quatre ans, ma grand-mère Jeanne mourait d’un cancer du pancréas et du foie au Centre Michel-Sarrazin. La mort n’enlève jamais un être cher à un moment opportun. Pourtant, un an avant sa mort, j’avais commencé à lui rendre visite que très rarement en comparaison aux années précédentes qui ne comptent plus les fins de semaine passées à la campagne, alors routinières. De plus, elle est disparue au pire moment de mon adolescence irresponsable, désintéressée et délocalisée.


Ma grand-mère, elle portait une confiance infinie en mes capacités de réussite. En plus de m’encourager constamment, elle me soignait et me berçait jusqu’à très tardivement. Elle est disparue tellement vite, sans me donner la chance de réagir comme je l’aurais souhaité. Peut-être parce que je lui répétais sans cesse naïvement qu’elle vivrait plus que centenaire.


Une fois, je lui ai rendu visite peu avant qu’elle quitte définitivement sa maison pour rejoindre le Centre. Elle était allongée dans son lit, moitié assise, un oreiller supportant son dos. Elle avait les joues creuses et les bras osseux. Et voilà qu’elle m’avait appelé, mais j'avais fui! Quelle honte! Dans la chambre de couture où je m’étais réfugiée, mon parrain René me prenait dans ses bras et je pleurais sur son épaule. Il a tenté de me consoler, mais ses yeux se sont également emplis de larmes. La mort nous surpassait; nous étions impuissants.


Derrière René, une fenêtre par laquelle j’avais mille fois observé mon passé. La fenêtre donne sur la cour et au loin il y a le jardin et le grand garage. Le vert domine ce coin de campagne. L’herbe est humide, l’air frais et le soleil plombe sur mes cheveux foncés. J’ai chaud et je plisse les yeux. Plus loin encore, j’aperçois l’immense ferme de mon oncle à la toiture bleue. Les vaches laitières mangent, marchent et dorment dans le champ voisin à ma grand-mère. Le garage est immense - il y a deux étages - et fait de pierres de Saint-Épiphane, tel la maison. Au fond du grenier, il était commun que ma cousine et moi construisions des maisons et des châteaux, inventions des histoires de princesse et de Cendrillon, créions musées et laboratoires scientifiques. Derrière le garage, se trouve le gigantesque jardin. Je me perds presque entre les plants de maïs; je cueille carottes, pois mange-tout, fèves vertes et jaunes, fraises comme framboises et groseilles. Une haute haie limite les pourtours du vaste terrain.


Le jour de sa mort au Centre Michel-Sarrazin, j’étais absente.

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