29.8.07

Le sort d'une pétale

« Il a bu. Il n’a pas bu. Il a bu. Il n’a pas bu… »

Les pétales de marguerite tombent à mes pieds. J’ouvre la porte. Tout est silence, à l’exception du ronflement de mon père. Je suis certaine à présent que la marguerite m’a dit vrai : il a bu. Il est dans le salon sur le divan. Il dort sur le dos avec tous ses vêtements. Il a même conservé ses grosses bottes grises. Je m’assoies à ses pieds pour les lui enlever. Un mince filet de salive glisse de ses lèvres entrouvertes. Il a renversé une bière sur la carpette beige : ça empeste l’alcool. Je veux écouter mes émissions, mais j’ai mal au cœur. Le pire est que même si je voulais vomir je ne pourrais pas : j’ai un nœud dans la gorge. La tristesse m’étrangle, tout comme le désespoir et la rage. Je veux lui prendre les épaules, le secouer et lui crier : « Arrête de ronfler! Je te déteste! Pourquoi tu me fais ça? J’ai honte de toi! J’ai honte d’inviter des amis ici! Ça pue la bière! Ça pue la cigarette! Jamais tu vas comprendre! Jamais! » Je pleure encore. Je pleure tout le temps. Je barbouille mon visage de larmes. Je regarde mon reflet dans l’écran de la télévision. Je suis laide. Je me déteste. Je ne veux plus de cheveux et des yeux bruns marde. Ils crient la détresse.

J’ouvre la porte. Ça sent les tomates, les piments et les oignons. Les yeux me piquent. L’odeur se prend dans mes narines. Mon père est saoul. Il fait à manger. Il parle fort. Il dit des niaiseries. Il est niaiseux. Il parle de Jésus et de Saint-Pierre. Il sait par cœur sa bible. Il me casse les oreilles avec la religion et aussi avec le Léo Ferré qui joue fort dans la cuisine. Je tremble. Je vais dans ma chambre et ferme la porte. Je rejoins mon chat. Il dort, mais je peux le réveiller : il ne griffe pas. Il est doux. Je couche ma tête sur l’oreiller. Brusque, mon père ouvre la porte. Je roule des yeux. Il dit qu’on ira en Floride durant les vacances de Noël voir Disney. Je ne le crois pas : c’est des menteries, des fausses promesses. Comme dirait maman, des promesses de crisse de saoulon. Je bouche mes oreilles et ferme mes yeux. Il va bien finir par comprendre que je veux qu’il se la ferme! « Vas donc te coucher! » Il ferme la porte.

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