29.8.07

Intermède à Paris

Je suis arrivée à Paris, ville nommée de lumière. Il est 8h15 du matin, mais la gare d’Austerlitz regorge d’activité. Le sac imposant sur mes épaules frêles pèse quelques 20 kilos. Un homme français d’une trentaine d’années m’aide à enfiler les gances de ce sac sur mes épaules. Je le remercie d’un "gracias" timide. Je n’y peux rien : j’ai l’espagnol plein la tête. Comment espérer perdre cette habitude de l’usage de cette langue en moins d’une journée?

À 11h20, mon avion s’envole. Mais le temps passe vite. Je dois m’orienter et demander le trajet pour me rendre à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, et ce, maintenant, sans perdre un instant. Le métro de Paris est gigantesque. Je connais un peu le métro de Montréal. Il a 4 lignes. Celui-ci en fait des dizaines. Au guichet, la commis dessine un plan du trajet à suivre. Je titube le plus vite possible. Ce lourd sac me désespère. Je crois que mes épaules se mutent en goglus trempés dans le thé. Je suis « une pauvre fille qui fait pitié ». J’ai la tension imposée par le temps.

Une fois dans le métro, je m’assure de la direction prise. À la reconnaissance de l’accent québécois, une femme me dit bonjour. Son mari est québécois. Jovial, un second renchérit : « la cousine! ». Ça allait jusque-là, mais il ne manquait plus qu’il commente mon accent en le comparant au français parlé en Normandie il y a deux siècles pour que je m’énerve! À l’exception de la langue, les québécois n’ont rien à voir avec les français. Et encore! Ils font mine de ne pas comprendre et prendre des airs d’institutrice offusquée dès qu’un mot leur échappe. De dire étiquette, plutôt que label; thé glacé, au lieu du iced tea; tapis, pour pointer une moquette, bref en plus de ne pas saisir l’ensemble de la phrase, de s’arrêter, de rire et de nous reprendre, ils sont les ambassadeurs en leur pays de l’anglophilie la plus pure. Leur chauvisme leur permet de penser que nous sommes les cousins, alors que pour quelques cailloux dans les Caraïbes, les canadiens-français sont devenus le butin des anglais. Maintenant que les 7 millions de francophones nord-américains devraient continuer à se reproduire et encourager une immigration francophile ou, au mieux, francophone, et ainsi survivre de l’étau anglophone, nous remercions le lobby du sucre d’avoir insisté pour délaisser les Caraïbes. Quel malheur, ce serait, un Québec département outre-mer français! Horreur! Et puis, nous sommes des Américains nous exprimant en français. Pas des Européens. « Je ne suis pas la cousine… »

Je descends du métro pour continuer dans un train de banlieue. Une fois encore, je ne suis certaine de rien. Un bel homme se trouve à mes côtés et je profite, sans honte, d’un moment d’ignorance pour lui demander cette information… qui me manque… nécessaire… au bon déroulement du petit voyage. Il est poli, charmant et cordial. Je me surprends à me demander si mon image sera gravée dans sa mémoire comme la sienne sera imprégnée dans mes souvenirs du train parisien.

Je rencontre une Espagnole, une madrilénienne, je pense : elle prononce « madrizz ». Elle se rend à l’aéroport et son vol est en direction de la capitale. Il n’y a pas que moi qui subit le trac de l’incertitude : ajouté au fait qu’elle ne parle qu’espagnol, elle ne se retrouve pas dans le grand Paris.

Un gitan entre dans le train. Accompagné de tout un attirail pour interpréter des chansons, il commence sa prestation. Il nous cassent les oreilles. Il quémande tout de même plus honnêtement que ce garçon postés au stationnement El Corte Inglès, à Alicante, pour informer du bris de la machine de billet de stationnement, une information connue de tous. Il réclamait quelques pesetas en échange de ce soucis de l’autre déguisé.

À 20 minutes de train de Paris, la stature d’un des plus imposants aéroports au monde se dévoile enfin. À la dernière station, la mienne, je souffre du poids humide des particules d’air incrusté dans le wagon. Divine libération d’enjamber la porte et de m’extirper de cette chaleur. La madrilénienne suit mon pas. Une fois un kiosque d’informations déniché et les renseignements désirés obtenus, on se lance un bref "adios" et "buen viaje", toutes deux pressées par le temps. Je cours jusqu’au bureau d’enregistrement des bagages. Mon sac à dos est pesé et il fait 20 kilos. Bien heureuse de le voir rouler sur le tapis et déguerpir. Je disparaîs ensuite à la salle de bain. Dans un des cubicules des toilettes, je délaisse mes souliers sports, mes pantalons amples et ma chemise mal ajustée pour du linge plus élégant. Mes cheveux emmêlés sont démêlés, mes aisselles disparaissent sous une avalanche de déodorant, je rafraîchis mes poignets et mon cou d’un parfum discret, et je colore mes lèvres de gloss transparent. Je pousse le loquet en prenant une profonde inspiration. Je me regarde dans le miroir en glissant ma main dans mes cheveux pour les gonfler sauvagement, sur le dessus de ma tête, et je rejoins mes cheveux par ma pince habituelle.

Je me sermonne, car j’ai l’habitude de courber le dos sous le poids de mon énorme sac et je veux me tenir droite. Je me sens légère. D’un pas cavalier, je masse une épaule et lis, empressée, les affiches indiquant le chemin jusqu’à ma porte d’embarquement. J’y suis. Au centre, en face de la porte d’embarquement, un comptoir circulaire. Je m’adresse à une madame du comptoir. Elle me regarde désintéressée. Mon billet est « ouvert ». Elle me dit : « attendez. Nous vous appellerons au micro si une place se libère. » Ça ne me convient pas évidemment. Son manque d’intérêt m’agace. Et puis, je veux savoir si je peux retourner au Québec au plus sacrant. Ça y est : je suis nerveuse. Je m’assoies et attends. Mes jambes se balancent. Quelques secondes. Quelques minutes. « Si une place se libère… Si une place se libère ». Attendre le prochain vol et peut-être le suivant, dormir à l’aéroport, me nourrir dans les restos de l’aéroport, me tourner les pousses durant des heures… J’ai envie de pleurer devant l’assemblée de passagers. Et puis merde, j’apostrophe un autre commis, de l’autre côté du comptoir circulaire, un homme quinquagénaire. Je me présente amicale. Voici le prétexte : « monsieur, vous voudriez svp vérifier si mon billet est enregistré. SVP. » J’ajoute explosive : « Je dois embarquer sur ce vol! Ça fait 8 mois que je suis ici, en Europe, en Espagne. SVP! … Pardon… Monsieur. » Je m’arrête, les sourcils crispés, la bouche en rictus. Il reste perplexe un instant, se tourne vers son écran et tape sur le clavier. Il arrête de taper. Me regarde à nouveau : « Pour mademoiselle, une classe affaire, ça ira? » C’est sûr, je l’aime, cet homme. Le billet en main, je le salue de l’autre d’un sourire pimpant. Toutes mes dents y sont et mes yeux, naturellement en amande, sont bridés d’extase.

Je présente mon billet à l’hôtesse, sa machine l'avale et elle me remet le bout épargné. Je gambade presque dans le corridor vers l’avion. Mon allégresse est au summum : je traverse le tunnel du retour. Je m’apaise, les hôtesses-barbies arborent un large sourire et me pointe mon chemin. Je m’assis à mon siège spatieux de la classe affaire. Je m’introduis à mon voisin. Je bredouille quelques mots en anglais pour parler de température, de glace (hielo) comme si c’était du jaune (yellow). Ça va, je réussis à maintenir une courte converse en anglais et de comprendre sa présentation : « I am Canadian. I have just finished a long trip around Europe… » Je conclues qu’il a des sous. Il est jeune : je crois qu’il s’offre cette expérience sur le porte-feuille de ses parents. Mais je m’en fiche et j’épuise mon vocabulaire rapidement alors je plonge dans mes occupations à la suite de cette confusion esfranglish... Sinon, le vol fait 8 heures et le service est excellent. Je suis cassée et l’alcool est gratuite : j’aurais pu boire jusqu’au coma éthylique si j’avais fait la fête comme un italien vers l’Ïle-de-la-Réunion - Une collègue m’a raconté cette péripétie : un jeune italien en coma éthylique a forcé un vol de Paris vers l’Ïle-de-la-Réunion à se poser d’urgence en Sardaigne. Pour réussir cet atterissage rapide, l’avion a dû déverser son essence et dévier son trajet. Les ambulanciers attendaient le jeune homme sur la piste. Les avocats d’Air France peut-être aussi… -, mais je ne supporte pas l’alcool sous la pression atmosphérique. J’écoute des bribes de film sur ma télévision personnelle et deux sont québécois. L’accent québécois me surprend : je l’avais presque oublié. Le vol est paisible. Les heures filent, le jour perdure dans le hublot. À l’aéroport à l’Ancienne-Lorette, je ne retrouve plus mon plus petit sac. Ils l’ont égaré. C’est décevant, mais une fois la technicalité réglée, je m’en soucis peu. Aurélie vient me prendre avec un ami. Elle a les cheveux noirs et courts maintenant. Elle faisait un cours de coiffure pendant que j’étais en Espagne. Le soir, je visite ses nouveaux amis. Je jase avec un mec en particulier : il est blond et aux yeux bleus, décontracté et souriant. Il est intéressé. Je ne le connaissais pas, mais je connais bien sa sœur qui a mon âge. C’est un point en commun. Je serai en amour avec lui quelques semaines plus tard. Mais j’irais en Ontario d’abord et nous nous retrouverons ensuite, et ce, pour les 6 années suivantes.

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