31.5.09

Une déprime d'hiver


Voilà qu'en ce jour de tempête, il ne lui restait plus qu'à écrire. Elle devait laisser les mots filer sans trop penser. L'intérieur de l'appartement était calme, le givre couvrait les anciennes fenêtres et la coupait de l'activité extérieure. Midi approchait et la journée s'annonçait interminable. Le bruissement du réfrigérateur lui rappelait son ennui. Pas question d'ouvrir la télévision; il n'y passe que des émissions inintéressantes. Les nouvelles: elle les lirait plutôt que les écouter. Une marche l'avait désennuyée. La température était toujours plus douce lorsque des flocons parsemaient le ciel, les arbres et le sol. La neige crépitait sous ses bottes. Le vent l'agaçait un peu, mais la fraîcheur de l'air compensait.


Il y a longtemps déjà qu'elle voulait écrire, mais la paresse l'avait contrainte sans cesse à repousser ce moment. Son envie d'écrire reposait tout particulièrement sur sa vision de la vie. Pour elle, elle était précieuse, car courte. Ce qui la déroutait au plus au point c'était son obsession sur le pouvoir qu'a l'Homme de faire ce qu'il désire de sa vie. Comment certaines gens pouvaient accepter sans pleurer ou se révolter l'arrivée de la mort sans avoir vécu des épisodes hors du commun et sans avoir poussé leurs projets les plus farfelus jusqu'au bout. Car ce qui était pour elle le plus effrayant de la vie c'est comment on est maître d'en faire ce que l'on veut. Si une chose le dérangeait également par dessus tout c'était le temps perdu puisque la vie nous échappe si vite... Si elle croyait en la réincarnation ou, mieux encore, à une vie après la mort, son obsession du temps s'affaiblirait sûrement. Et pourquoi lui avoir répété mille fois qu'elle complétait sa neuvième vie? Heureusement, son obsession de tout faire devrait être satisfaite en partie, car à son époque, l'espérance de vie élevée permettait de réaliser bien des rêves. Il n'en avait pas toujours été le cas: il y avait seulement deux siècles, les gens vivaient environ trente ans.




Depuis quelques années, ses projets allaient bon train contrairement aux années pendant sa jeunesse. Elle n'avait que vingt-deux ans, mais son enfance était déjà nébuleuse. Dans son esprit, les souvenirs se mélangeaient comme de vieux rêves tristes. Les étapes franchies de sa vie se découpaient comme un escalier dont la montée s'était effectuée brusquement par piliers. Si elle appréciait la vie, c'est parce qu'elle tentait de se dépasser dans chaque projet qu'elle entreprenait. Elle croit que "si on veut, on peut"... Si se puede... Todo se puede.


Pendant qu'elle écrivait, comment s'imager que la terre tournait à vive allure. Elle ne saisissait ni l'immensément petit ni l'immensément grand. Trop insaisissable, il était plus facile d'arrêter de penser que certains vivent le jour pendant que d'autres sont dans la nuit, aux vies si différentes à la sienne... Dire que des civilisations avaient ignoré l'automobile et la forme ronde de la Terre. Sans contredit, la science avait brusqué des changements.


Le monde était si grand qu'elle se devait d'en profiter. La vie ne pouvait se résumer à demeurer au même endroit, côtoyer les mêmes personnes... Tant qu'elle découvrait et apprenait, elle aimerait la vie! La stabilité n'était pas son idéal. Comme un destin chanceux qui la suivait (ce qu'on père aurait pointé comme l'étoile Estelle), tout ce qu'elle avait entrepris s'étaient soldés jusqu'alors par des succès. Elle croyait en elle, mais aussi en un destin qui l'aidait à la diriger.


Elle ne retournerait jamais vers son enfance et l'adolescence. Elle avait accepté l'attitude de ses parents, surtout celle de son père dont la déchéance, bien qu'elle ne la fasse plus souffrir, la hantait. Jamais elle ne se résignerait à vivre une vie aussi médiocre dans la dépendance à l'alcool ou emprise de toute autre dépendance. Elle avait eu honte pendant des années jusqu'à ce qu'elle commence à en parler à qui se sentait prêt à l'entendre. Après tout, il faut se méfier du mépris facile des gens devant des situations hors de l'ordinaire: si on cherche la pitié, on trouve parfois le dédain. Il est facile de minimiser la souffrance de l'autre. Qui savait sa vie et était prêt à l'entendre, l'admirait. Après tout, elle semblait répondre à la norme venant pourtant d'un milieu où plusieurs avaient déjà sombré.


Elle était fatiguée en ce début d'après-midi et ses idées étaient décousues: elles suivaient l'agitation de ses pensées. Des os de poulet mijotaient à l'intérieur d'une casserole: un de ses plaisirs étaient de cuisiner des bouillons de poulet le dimanche, comme pendant les vieux dimanches. Maintenant, les dimanches ressemblaient aux autres jours de travail et de stress pour la plupart de la population active. Elle aurait aimé vivre dans une société qui n'aurait pas adopté le rythme nord-américain et qui respecterait les anciennes traditions, mais le monde se traduisait par une grande toile englobant l'ensemble des populations. La Terre semblait réduite. L'Australie, le bout du monde, n'était qu'à une vingtaine d'heures de vol. Dans ce vaste ensemble, les régions reprenaient de l'importance. Alors qu'à une époque pas si lointaine, les dirigeants cherchaient à étendre leur empire, à son époque, les peuples cherchaient à se fragmenter de l'ensemble et obtenir une reconnaissance identitaire propre.


Elle voyait souffler le vent à l'extérieur, mais ne l'entendait pas tout comme les automobiles qui traversaient l'avenue. La chaleur à l'intérieur l'engourdissait, alors que le froid à l'extérieur l'aurait réveillée. Elle aurait aimé que quelqu'un lui rende visite, mais rares étaient les amis qui se présentaient à l'improviste. Ou alors un coup de téléphone aurait été agréable, mais rien. Silence. Il aurait pu faire nuit si cela n'avait pas été de la clarté. Dehors, des rayons polaires, absence de couleurs. Pourquoi elle s'ennuyait? L'ennui dans l'ailleurs était enrichissant, alors que celui ici était absurde étant si près de tous ceux qui lui étaient connus. Pourtant, elle se justifiait en se disant que certains se sentent seuls même durant les plus grands évènements. On peut se sentir seul à l'intérieur d'une foule, car la foule est individualisée à certains groupes déjà constitués. Ouais?



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